Enfermée dans ma réalité

“Il y a toujours mille raisons pour s’enfermer. Sortir est beaucoup plus difficile.”

Claudie Gallay/ Les Déferlantes

Écrire pour retracer le cheminement de ces dernières années, Victoria y tient comme à une bouée de sauvetage. Elle revit chaque instant, elle creuse dans sa mémoire et va chercher les moindres détails pour illustrer ses souvenirs. Elle raconte, elle se raconte, elle vous raconte l’histoire d’une jeune femme en quête de bien-être et de sérénité. Mais surtout et avant toute chose, elle veut partager, transmettre, inspirer et être utile. Petite, elle voulait changer le monde. Plus grande elle veut participer à l’amélioration de ce monde. « Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières » lui disait souvent sa grand-mère. Aujourd’hui, elle a choisi la plume, enfin le clavier, pour apporter sa goutte d’eau et nourrir un de ces ruisseaux qui deviendra une grande rivière. Elle poursuit « ici » son dernier récit qui se terminait avec les mots suivants : « Au fond, peut être aussi, 42 années de recherche de bien-être et de sens m’ont amené ici : là et maintenant. »

 

Certainement et pourtant j’ai l’impression que tout s’est accéléré ces deux dernières années.

Je vous raconte ?

Ok mais vous constaterez assez rapidement que je reviens toujours au même sujet : devenir maman. Comme… si je ne l’étais pas déjà… Je me ficherais des baffes parfois…

Bon, alors que s’est-il passé il y a deux ans ?

Pour être plus précise, tout a commencé l’année de mes 39 ans, j’avais bien galéré avec tous les traitements hormonaux. J’avais surtout été dominée par la peur. Au fond je n’étais pas très à l’aise avec cet acharnement à tomber enceinte. J’avais tout arrêté, espérant que bébé deux vienne naturellement.

Tu parles d’un espoir ! Enfin je ne dois pas tellement croire aux miracles et l’espoir ne devait pas être très intense 🙂 Parce que lorsque ma mère me dit « tu sais mon médecin vient de me donner le nom d’un spécialiste de la stérilité à l’hôpital saint cloud, si tu veux…. »,  je prends les infos.

Oui, ça peut servir. N’oublions pas que comme le dit une grande sage marocaine (une de mes tantes) : « L’espoir fait vivre mais qui vit d’espoir meurt désespérée ». Il faut croire que moi, à cet instant, je dois être désespérée.

En effet quelques mois plus tard, j’ai 39 ans, une énième fausse couche (de quelques jours) à mon actif. La deuxième grossesse naturelle me paraît tellement peu probable que je prends rendez-vous avec ce « ponte » en infertilité.

Ce jour-là, je me rends à l’hôpital, seule, pour un premier état des lieux. Elle, oui c’est une femme, prend mon dossier sans un mot. Le sourire est superflu, on ne sait jamais, on pourrait deviner un être humain derrière sa blouse blanche. Petit bout de femme (enfin je la vois petite), à la poigne de fer, elle doit avoir 55 ans bien tassé. Les cheveux coupés au carré, blonde, elle est assise derrière son bureau dans une pièce sombre. Sévère et glaciale, elle lit mon dossier, une paire de lunettes posé sur le nez. Elle me pose 3 questions et dit : « à votre âge, en l’occurrence bientôt 40 ans, et avec votre dossier, on ne va pas procéder par étape et stimuler pour stimuler, on passe à la FIV (Fécondation In Vitro) directe ».

C’est clair et limpide comme de l’eau de roche. Ce n’est pas chaleureux mais franchement à ce stade je m’en moque. Les médecins chaleureux qui vous voient arriver avec votre détresse et votre carnet de chèques, j’ai donné. Oui je suis dure dans mes propos. Généralement je suis plutôt cool, tellement tolérante que parfois je parais même hyper docile. En réalité, si j’accorde ma confiance, je vais jusqu’au bout de mon raisonnement et me comporte donc en personne confiante. Le revers de ce type de profil, c’est que lorsque la confiance est perdue, il n’y a pas de retour en arrière possible. Ce jour-là, j’en suis là. Tellement déçue par mon dernier parcours, tellement seule dans ma détresse que je cherche un cadre avec des gens qui respectent des règles. Je ne retournerais pas chez mon médecin « de ville ». A priori ces spécialistes ne me décevront pas puisque je n’attends rien d’eux, sauf qu’ils fassent leur job d’accompagnement.

Vous voyez un peu l’état d’esprit dans lequel je suis ? Non ? Alors je continue encore un peu 🙂

Bienvenus dans le monde des bouffons, ici c’est chacun pour sa gueule. Personne ne comprend ce que je vis. Personne ne sait que je suis terrorisée. Personne ne pose de questions donc tout le monde s’en fout !! Une fois que tu as compris ça, tu as tout compris. Bla, bla, bla…bla, bla, bla… Vous voyez mieux, là, dans quel état d’esprit je suis, n’est-ce pas ? Ni glorieux, ni constructif. Et surtout ENFERMEE ! Enfermée dans un tourbillon obsessionnel. Je suis enfermée dans ma réalité.

Vous visualisez ? Moi je vois bien (dommage que je ne sache pas dessiner) : un tourbillon qui tourne, je suis au centre. Notez toutefois que je ne m’envole pas, j’ai les pieds au sol et ça tourne, ça tourne.

Pourquoi enfermée ? Mais parce que, mesdames et messieurs, je suis à l’intérieur de moi, enfermée dans ma colère, mon amertume, mes émotions, dans mes croyances, dans mes perceptions. Vraies ou pas, ce sont les miennes, je les connais. Et face à cette femme médecin, qui débite cinquante mots à la minute, qui me rappelle mon âge, je suis « confort ». Et oui, pas de question dérangeante, elle ne commente pas. Tel un robot, elle réceptionne, analyse et livre un plan d’actions à deux mois avec un mode d’emploi de dix pages. Elle me laisse face à moi-même et m’impose le silence.

On a pris le temps de réfléchir avec Alex, en tout cas je me suis convaincue que j’avais pris le temps de la réflexion. Prise de sang, traitement, anesthésie générale, je vous passe les détails du protocole. C’est long, c’est angoissant mais tout est minuté, « processé ». Impossible de sortir des clous ou du moins de se sentir abandonné pendant tout le parcours médicalisé.

Le cadre est là et le chemin balisé. Je m’y engouffre avec toute mon obsession et mes espoirs. Encore des espoirs ? Lesquels ? Le premier : tomber enceinte. Le second : offrir un frère ou une sœur à ma princesse d’amour. Le troisième : offrir un fils, à minima un second enfant à l’homme de ma vie. Le 4eme : être comme tout le monde et avoir moi aussi une grande famille. Le 5eme : fermer le clapet de toutes ces personnes qui me demandent « alors le deuxième ? alors vous en êtes où ? »

Ça en fait des espoirs non ? Et je suis sûre que j’en oublie.

Mais une question reste en suspens : le sens donné à tout ça ? Oui parce que finalement ne sommes-nous pas tous à la recherche de sens ?

Pourtant, bizarrement, cette question est arrivée très tardivement dans mon parcours. On aura l’occasion d’en reparler chers lecteurs 🙂

Pour l’heure, voici THE QUESTION : avais-je vraiment envie d’un deuxième enfant ?

Oui jusqu’au plus profond de moi ! Franchement vous imaginiez quoi ? Que j’allais dire : non, non je fais tout ça car j’ai envie d’essayer. De savoir ce que ça fait de galérer avec toutes ces femmes en quête de maternité ? Je suis enfermée dans mon obsession, soyons honnête, comment pourrais-je répondre autre chose? Où puis je trouver le recul nécessaire à un questionnement aussi profond?

THE QUESTION qui amène les suivantes :

Est-ce pour les bonnes raisons que tu veux un bébé numéro deux?

C’est quoi une bonne raison ? Vous savez vous ? Moi je ne sais pas. « Faire plaisir à ma fille et mon mari » ça me paraît être une bonne raison.

Jusqu’où étais je prête à aller ? Certainement pas à prendre des risques et me mettre en danger physique. Oui messieurs, dames, une anesthésie générale c’est dangereux, une grossesse c’est dangereux, accoucher c’est dangereux. Oh my God, la vie est dangereuse ! Tu penses bien que lorsque j’ose exprimer ça à un médecin, il me ramène au danger de la vie. Oui, merci mon gars je suis au courant. Tu crois que je suis en apnée depuis que je suis née pourquoi ? Parce que j’ai peur. Peur de mourir, peur de perdre les gens que j’aime.

Désolée cette chronique devient glauque mais accrochez-vous encore un peu, je vais encore vous faire rire. Parce que le mieux c’est de rire de tout ça. Reculer pour observer et comprendre permet d’accepter. Prendre le temps d’écrire quelques années plus tard sur le sujet me donne à nouveau l’occasion de prendre de la hauteur. Et puis sans hormones c’est quand même plus facile de sortir de sa boucle infernale.

Revenons à notre sujet, à quelques mois de mes 40 ans. Je crois que vous avez bien saisi l’état d’esprit dans lequel je suis lorsque je me lancé dans ce marathon de la maternité.

Dans le cadre de cette première FIV, nous avons un premier transfert de deux d’embryons avec un résultat négatif. Et là, j’ai envie de vous décrire ce moment où vous recevez les résultats du dosage sanguin. Quelques années plus tard, je ris!

Comme vous le savez (ou pas) nous sommes désormais au 21ème siècle et nous recevons les résultats d’analyse par mail. Ce jour-là, lorsque je télécharge le document et que je vois le taux béta-hCG (indiquant s’il y a grossesse ou pas) à 0, je suis déçue. Et au même moment ma tête me dit : « même pas un 0,5, rien, nada, nothing ! Ils (les embryons) n’ont même pas essayé de s’accrocher un peu, genre 5 min ! Bande de nases ! » C’est comique non ? Je tourne encore en boucle sur ma douleur, ma peine, abandonnée de tous, même de mes embryons qui n’ont pas voulu s’accrocher…

Je suis dans mon tunnel, dans le noir. J’avance en courant puis je recule de 10 pas. Je n’entends rien, ne vois plus rien. Je ne me rends pas compte encore que j’ai oublié que j’étais déjà maman. J’ai retrouvé ma zone de confort : mon incapacité à tomber enceinte. Je connais, j’y retourne et je ferme la porte.

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3 réflexions sur “ Enfermée dans ma réalité ”

  • 15 février 2018 à 13 h 19 min
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    Victoria, ton billet est bouleversant.

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  • 19 février 2018 à 13 h 29 min
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    Je dirais plutôt « violent » comme billet ! C’est courageux de l’ecrire.
    Et puis le temps nous amène à penser et à réagir de manières différentes ! Il y a un vrai contraste entre le moment où Victoria a vécu ces moments et aujourd’hui ! Mais Victoria se moquerait elle de cela pour se soulager davantage aujourd’hui ? … peu importe, le principal est de trouver comment sortir de ce tunnel.

    Réponse
    • 19 février 2018 à 15 h 42 min
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      le recul nous permet de mettre des mots parfois violents et le courage de simplement regarder et accepter nos failles:)

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