« Les plus grands philosophes ont de la peine à lire dans le cœur humain, et le plus petit enfant sait lire couramment dans le cœur de sa mère. »
Adolphe d’Houdetot- Dix épines pour une fleur (1853)
La petite famille rentre enfin chez elle. Ils l’ont attendu ce moment où ils seraient enfin tous les trois dans leur foyer. Victoria et Alex sont impatients et à la fois inquiets de se retrouver seuls face à cette nouvelle aventure prénommée Emma.
Le retour
Nous voilà donc à la maison. Installés dans notre nouveau trois pièces en banlieue parisienne, nous allions commencer une nouvelle vie.
Nous prenons nos marques et cherchons notre rythme. Nous sommes fin décembre, je reprendrais le travail en avril. Et oui l’avantage de la prématurité, c’est que vous restez plus longtemps avec votre enfant. Ma vie tourne autour de ma fille. Elle et moi, moi et elle, et de temps en temps son papa.
En tout cas c’est ainsi que je m’en souviens. Alex a été très présent, bien sûr, un vrai papa poule. Mais, avec le recul c’est un peu comme si j’avais continué à couver mon bébé directement dans mes bras.
Emma, ma douce Emma, est minuscule. Elle pourrait tenir dans une main. Elle dort beaucoup, elle continue de grandir hors du ventre de sa maman. Ce n’est pas cool, on n’a pas fini toutes les deux. Je lui en ai voulu à ma petite fille d’être sortie aussi vite. Elle était certainement saoulée d’être dans « cette maison de fou » mais moi je n’avais pas terminé de la fabriquer. Je n’avais pas remplie ma mission jusqu’au bout. Là, je n’avais pas pu être la première de la classe.
Je le sentais au fond de mes tripes, je le vivais intensément, j’avais un goût d’inachevé. J’avais très envie de le crier à la terre entière et de lui dire à elle, ma fille. Mais je n’allais pas commencer notre vie commune par des reproches. De toute façon elle aurait certainement eu son lot de rancœurs à m’envoyer au visage. Elle m’aurait fait sa crise d’adolescence à un mois, la pauvre.
Enfin pas sûr, parce qu’elle avait déjà la douceur et le calme de son papa. Très vite, elle sera surnommée Petit Bouddha ! On ne se moque pas et pas de jeux de mots tordus svp. Oui, d’accord c’était parce qu’elle était sage et sereine mais, AUSSI parce qu’elle a, comme beaucoup de bébé prématuré, vite récupéré son poids. A trois mois elle était toute potelée J
Emma a été un bébé très sage et adorable. Et comme je suis une grande « malade » qui ne s’accorde pas le droit au bonheur, je me demandais souvent comment c’était possible. En effet, comment moi qui, bébé, avait été insupportable…. Ah mais oui je ne vous ai pas dit ? Je suis aussi née prématurée et j’étais un bébé qui ne dormait pas du tout. Enfin il paraît, je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque. Surprenant non ? J’en ai fait voir de toutes les couleurs à mes parents et ce toutes les nuits jusqu’à l’arrivée de ma sœur Elsa. J’aimais beaucoup jouer au ballon….la nuit vers 2h du matin. Normal quoi !
Bref, comment moi la vilaine petite fille avais-je pu avoir la chance d’avoir une poupette souriante et dormeuse. La méritais-je vraiment ? Il allait m’arriver une tuile ! C’était sûr ! Vous ne l’avez pas vu venir celle-là !?! Je vous avais prévenu que j’avais des certitudes étranges. J
Mais devenir maman c’est aussi se prendre une grande baffe dans la tronche. LA FONTAINE disait, dans le Lion et le Rat, « On a souvent besoin d’un plus petit que soi ».
J’ai donc une grande nouvelle à vous annoncer! Le plus petit que soi va être votre enfant. Votre enfant va vous renvoyer à vous-même et vous donner quelques leçons bien senties. Ce petit bout de chou ouvre la porte d’un nouveau chemin qu’il faut prendre sans hésiter bien sûr. Toutefois les bagages peuvent parfois être lourds. En tout cas pour des personnes comme moi, qui ne se laissent pas porter, pour qui chaque chose est un sujet, ce ne sont plus des bagages mais bien des boulets.
Je pensais avoir fait une grande introspection en débutant ma thérapie 4 ans plus tôt. Je pensais même avoir fini le travail. Mais, bien sûr ! Nous sommes là pour apprendre les amis. Et c’est une des richesses de la vie sinon LA Richesse. Je n’imaginais pas à quel point.
Sortez les gants de boxe ça va faire mal !
Tout d’abord premier KO mis par l’amour inconditionnel qui nous tombe dessus dès le premier regard posé sur ce petit être. D’accord, je ne l’avais pas finie mais elle était vraiment très réussie. Et quand je dis: « nous », messieurs vous êtes aussi concernés. Vous êtes également sur le ring, étalés de tout votre long après cet uppercut de sentiments. Je dois vous dire qu’Alex, en tenant Emma dans ses bras pour la première fois, me dit: « elle ne sortira pas de la maison avant 25 ans ». Il le dit avec sa voix posée, calmement. C’est une évidence, il n’y aura pas de discussion. J’étais partagée entre les rires et l’horreur. Mon mari avait perdu la raison en voyant sa fille. Voilà ce que sa douce Emma lui avait inspiré immédiatement !?!? Elle était fichue la pauvre, entre une mère névrosée et un père surprotecteur !
Inconsciemment, je crois qu’à ce moment-là, j’ai su que nous allions avoir du boulot sur nous pour qu’elle ait une vie normale. Euh je crois que je ne vous ai pas encore parlé de mes parents…. Ma mère est juste un peu….comment dire….poule. Quoique à ce stade ce serait peut-être plus louve ou aujourd’hui je crois que l’on parle de « control freak ». A vérifier. Il paraît que lorsque l’on devient maman, on marche forcément sur les traces de la sienne. Difficile de faire autrement, il s’agit de notre premier modèle.
L’allaitement et le poids d’Emma
Nous sommes donc toute la journée toutes les deux, dans cet appartement. Je l’allaite.
Alors autant vous dire que si on m’avait dit ça quelques années auparavant j’aurais sauté au plafond et beaucoup rigolé. J’ai un petit côté féministe (vraiment petit… rien de dramatique) qui m’empêchait d’envisager cette option. Sincèrement je ne suis pas sûre qu’il y ait un rapport avec le féminisme mais c’est un vrai rapport à la féminité. Et moi je veux être « à égalité avec les hommes ». Je suis une valeureuse guerrière. Je déteste l’injustice. Je surréagis aux phrases machistes ou même à une simple phrase qui relègue la femme à un rôle de femme du genre « les femmes mangent moins que les hommes ». Ah bon ? C’est écrit où cette connerie. Si j’ai envie de me resservir, je me ressers et je ne vois pas pourquoi je laisserai ma part à un homme ! C’est débile ? Oui je sais mais c’est comme ça !
Bref, la miss n’est pas pressée, ça dure des heures mais ce sont des moments magiques. Nos journées sont donc rythmées par les repas de mademoiselle. Nos seules sorties sont « direction » la PMI (Protection Maternelle et infantile). En effet, vous l’avez compris je n’étais pas totalement rassurée en rentrant à la maison. Une des raisons parmi le milliard de mes angoisses était très simple : en allaitant il est impossible de savoir ce que bébé mange réellement. Par conséquent le poids est à surveiller de près. Difficile de mettre un nourrisson d’un mois sur un pèse-personne comme vous vous en doutez.
A la sortie de l’hôpital nous avions donc comme directive de nous rendre à la PMI 2 à 3 fois par semaine, pour la pesée d’Emma. Deux jours après notre retour au bercail, nous devions donc y aller. Et si vous avez bien suivi c’était pendant les congés de Noël. La permanence était donc assurée par un centre un peu plus éloigné de notre domicile. Il y avait des travaux partout, Alex cherchait une place. Je dus rentrer seule dans cette PMI avec mon bébé.
« Je ne sais pas à quoi m’attendre, j’ai encore l’angoisse au cœur. Qu’est-ce que je vais leur dire ? Et si elle n’a pas pris de poids ? Tout le monde va me regarder et voir que je suis terrorisée. Ils vont se rendre compte que je ne vais pas être une bonne maman. Je ne saurais jamais la protéger. Oh my God, je veux m’enfuir! Et Alex qui n’arrive pas. »
Je suis donc dans cet état de panique lorsque cette dame me fait rentrer dans le cabinet. Je suis incapable de me souvenir avec précision de l’endroit et du médecin, je crois qu’elle est médecin. Je me souviens, en revanche, que je suis dans un brouillard et que j’ai le souffle court. Et surtout je n’oublierai jamais les paroles de cette femme. Ce jour-là, elle ne le sait pas mais elle m’a peut être sauvé la vie.
Elle me regarde rapidement et me dit « ça va madame ? Alors? pourquoi vous venez nous voir ? »
Vous voulez connaître ma réponse ? Vous devriez la deviner si vous lisez toutes mes chroniques…
J’ai éclaté en sanglots bien sûr !!!
« Oula, que se passe-t-il madame ? » s’inquiète-t-elle. Et me voilà à lui raconter la naissance d’Emma et le retour à la maison.
Vous savez ce que m’a dit cette femme ?
Elle a tout posé, m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Madame, à partir d’aujourd’hui, la seule personne à qui vous ne pourrez plus jamais mentir c’est votre fille. Elle ressent tout. Si vous êtes bien, elle sera bien ! »
Autant vous dire que ce fut encore une de ces fameuses rencontres, de ces fameuses phrases qui peuvent transformer votre vie.
Alors c’est ça être maman ? Je dois être honnête avec ma fille ? Ça je sais faire, je ne sais pas être quelqu’un d’autre. J’aurais le droit de me montrer telle que je suis avec mes forces et mes faiblesses ? Tout simplement ?
Oui je sais le faire, je vais y arriver parce que cette petite dame avec ses paroles m’a permis de comprendre à cet instant qu’être maman ce n’est pas un rôle, c’est: être soi simplement.
Je comprendrais bien plus tard que je n’allais pas me perdre en étant maman, j’allais plutôt trouver la femme qui est en moi.